Ma traversée de l’Atlantique – 2ème partie

L’Atlantique

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Les amarres furent levées rapidement, le voilier était prêt. Seul bémol à l’horizon, plus un sou en poche pour faire nos courses et avoir de quoi se nourrir pendant la traversée. Comme d’habitude, Jocelyn fut notre sauveur pour les trois semaines à venir.

 Entre-temps, Jocelyn nous demanda si son neveu, Marc, un anglais, pouvait se joindre à nous. Sceptique de prendre un quatrième homme à bord sans aucune expérience nautique, Marc s’est révélé un gars super qui s’est très vide adapté à la vie en mer.
On était donc quatre à bord, Rod, le skipper écossais, Lorenzo, l’italien, Marc l’anglais novice et moi Stephan, l’allemand.

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Premier jour en mer, la journée était magnifique, 30 – 40°c, belle mer avec une légère brise d’ouest. Toute la toile avec le grand spi sont de sortie et on barre à tour de rôle.
Tout le monde en short et torse nu. On était tellement enthousiastes pendant ces premières heures de navigation, dans un tel paradis pour marins, que nous avions oublié l’essentiel, qui aurait pu amener au drame. On ne s’était pas protégés la peau et avec ces petits airs, on ne sent pas le soleil chauffer. Le lendemain, Rod, Marc et moi étions brûlés. Lorenzo, d’un teint plus mat, n’avait aucune trace.
Trois sur quatre étaient hors circuit avec des accès de fièvre et des vomissements. On avait même envisagé de retourner au port mais fierté oblige, on a continué coûte que coûte.
Heureusement que le temps était au beau fixe, que la pharmacie de bord était bien équipée et que Lorenzo pouvait gérer le voilier. La première leçon fut dure à encaisser, mais elle resta imprimée pour toute notre vie.

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On est à 200 miles des côtes et la houle devient régulière. Le vent reste portant de ¾ arrière, les conditions idéales pour le portant. On fait des quarts de 2 personnes de quatre heures avec un troisième en stand-by au cas où.
Le plaisir à la barre est immense et nous jouons avec la houle. Le vent et les réglages nous permettent de surfer un maximum avec un œil rivé sur les instruments pour battre nos propres records et ceux des autres. Nous faisons tourner le Diesel 1 – 2 heures par jour pour alimenter les batteries. L’intérieur du voilier est spartiate, mais offre tout le nécessaire pour bien faire à manger et vivre en général. Le rythme s’installe.

Après quelques jours de navigation dans une brise régulière de 10-15 nœuds, nous adaptons notre système de quart avec un homme en charge du voilier, un deuxième assigné mais qui peut faire ce qu’il veut et les autres en off. Finalement, on navigue quasiment en solitaire dans un temps clément,ce qui laisse tout le loisir aux autres coéquipiers pour se reposer, lire, observer la mer.

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Les premières nuits se passèrent sans encombre. On fait corps avec le voilier et nos sens s’affinent. Les ciels sont fabuleux dans un noir absolu. C’est le vide tout autour, on apprécie cette solitude. On devient expert à sentir la moindre variation de vent, de houle. De temps en temps, on croise un voilier, des pêcheurs ou un cargo. On discute un peu par VHF et on prend des informations très utiles sur la météo. Le monde se réduit à ce qui nous entoure, ce que nous voyons et nous profitons de chaque instant. L’ambiance à bord est excellente. Lorenzo s’avère être un excellent cuisinier et les petits-déjeuners anglais concoctés par Rod nous calent bien pour commencer la journée.

Les Thunderstorms

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On commence à s’approcher d’une zone délicate réputée pour ses “Thunderstorms”. Le nom en dit long “Des orages d’éclairs”. Nous avions déjà une expérience du mauvais temps au large : Rod pendant sa course au large, Lorenzo et moi pendant les Winter Series du Solent, mais le mauvais temps qui nous attendait était hors catégorie. Rien de comparable avec ce que l’on connait en Europe.
Les éclairs sont dus à un échange thermique important entre la température de la mer et celle de l’air qui se transforme en un cumulonimbus impressionnant au ras de l’eau. Des vents soudains et violents, une pluie torrentielle, des éclairs puissants et un tonnerre sourd s’abattent. Les Thunderstorms sont plus impressionnants que dangereux, à condition de s’y préparer et de les voir venir ce qui est plus délicat la nuit.

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On l’a vu se former devant nous à quelques miles. Le nuage devint de plus en plus noir au ras de la mer. En nous, des sentiments controversés, la beauté d’une part mais la peur de l’autre. Le nuage s’approche très vite. Plus aucune voile dehors. On l’attend.

Le premier signe est un silence absolu comme si toute vie avait cessée, plus de vent, le néant. On s’attend à recevoir un déluge d’eau. On est tendu, personne ne parle, on n’ose même pas se regarder de crainte de dévoiler notre peur aux autres. La luminosité a sérieusement baissé et le premier éclair jaillit, illuminant d’un flash puissant le nuage entrain de se tordre au ras de l’eau, un rideau de pluie droit devant nous. Un énorme « bang », le tonnerre qui suit. Un vent puissant se lève soudainement et souffle dans toutes les directions.
Cette fois ci le vent n’as pas duré longtemps et a été remplacé par une pluie diluvienne. Les autovideurs du cockpit ne suffisent pas à vider la quantité d’eau qui tombe. Les pieds dans l’eau et trempés en quelques minutes, notre équipement ne suffit plus. Je me rappelle que Mark était assis à coté de moi et je ne le voyais pas sous cette pluie si intense. On ne s’entendait pas non plus, le bruit de la pluie sur le voilier et sur l’eau était trop fort.
Cela n’a pas duré longtemps, peut-être une ou deux heures mais qui sur le coup paraissent des heures. Après ce déluge, le ciel se dégage et la température remonte.
Un phénomène plus impressionnant que dangereux en cette saison. Le fait d’être en pleine mer sans obstacle autour, dans une mer non-formée sans visibilité est gérable.

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Par la suite, les thunderstorms était une bonne occasion de remplir les jerrycans d’eau et de prendre une douche à l’eau chaude. Avant, on avait toujours de l’appréhension étant donné qu’il était impossible de prévoir la violence de la tempête, mais au bout du troisième on savait à quoi s’attendre et la peur était remplacée par de la curiosité.

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Nous voilà à 40 miles des côtes açoriennes. Une bonne partie de la traversée avait été réalisée et on se réjouissait de retrouver la terre ferme. Ce petit bout nous a donné du fil à tordre à cause de l’anticyclone des Açores, une zone sans vent. Même si le moteur ne nous enchantait pas, on n’avait trop envie de faire notre première escale. On commence au moteur à une vitesse de croisière de 6 nœuds, arrivée prévue dans 10 heures. Le moteur cale après 3 heures, plus d’essence et les 2 jerrycans de secours de 20 litres chacun sont vides. Comment ça, vides ? Qui a fait le plein avant de partir ? Personne.
On est dans une situation un peu délicate à 20 miles des Açores. On a besoin du moteur pour notre énergie, pour le téléphone satellite et le pilote automatique et bien évidemment pour arriver aux Açores. La mer est d’huile, pas un brin de vent et l’anticyclone est bien installé.
Il y a certainement des bateaux aux environs pour se ravitailler, mais on refuse de faire appel à eux.

On se dit alors que c’est possible de faire avancer un voilier tel que Silk dans ces conditions. Heureusement, on avait des voiles de régate qui n’avaient pas trop soufferts.
Il y avait une houle régulière et il suffisait que le voilier soit légèrement poussé par la houle pour créer de la vitesse aussi faible qu’elle soit et générer du vent pour naviguer avec. Alors on se concentra sur les réglages et on arriva à naviguer à 1-2 nœuds pendant un certain temps. Quand on perdait le vent, cela nous prenait à nouveau pas mal de temps pour redémarrer le voilier mais on progressait ce qui était bon pour le moral. Cela nous est même arrivé de nous mettre à l’eau et de tirer le bateau avec des cordes ou de ramer.

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Cela faisait maintenant 3 jours qu’on avançait de la sorte. Trois jours à progresser de 10 miles et il restait encore 5 miles à faire. On voyait Pico, le volcan pointu des Açores qui nous narguait. On n’avait plus que des cornflakes à manger, mais heureusement pas de manque d’eau.

On arriva enfin à Horta, Faial trois jours plus tard au milieu de la nuit, affamés. Faial, 4h du matin, on était arrivés.
Le port était plein pour la fête annuelle des pêcheurs. Cette fête rassemble tous les marins des Açores et du continent.

…La suite la semaine prochaine…